Chez elle de Béatrice Poncelet, Seuil jeunesse
Un album inclassable analysé avec la boîte à outils de Sophie Van der Linden
Que pensent les enfants des adultes ? Le narrateur enfant de cet album est ballotté d’un lieu à un autre pour des raisons qui lui échappent. Mais selon l’adulte ou les adultes qui le gardent, l’enfant éprouve des sentiments bien différents qui s’expriment par des mots explicites et poétiques ainsi que des images intimes et subjectives aux références multiples et dans lesquelles tous les sens sont sollicités…
Dans cet album dense et complexe, Béatrice Poncelet use de tous les ressorts du livre-objet pour donner à voir une galerie de ressentis du point de vue de l’enfant. Tous les éléments servent le propos même la typographie dont l’absence d’unité implique une charge émotionnelle différente. Les pages de l’album jouent un rôle déterminant pour entrer et sortir des quatre univers des personnages anonymes et rythment le livre comme des chapitres.
Le lecteur entre d’abord « chez elle », comme dans un livre, confiant, grâce à un texte poétique qui rassure sur le bien-être du narrateur. Les images colorées, superposées, abondantes dans lesquelles s’intègrent des textes d’autres livres illustrent « le sans queue ni tête » énoncé juste avant. Mais elles donnent aussi à voir l’imaginaire, la fantaisie, les émotions que procurent les livres pour enfants aiguisant le sens de l’observation. Au passage, les lecteurs aguerris remarquent de multiples clins d’œil à d’autres artistes de la Littérature jeunesse.
Puis c’est le moment d’aller Chez elle où le narrateur ne trouve pas sa place. C’est d’ailleurs une porte fermée qui accueille le lecteur. À l’intérieur, un univers vaporeux de luxe et de préciosité confirme que l’enfant n’est pas bienvenu. Comme dans un musée que suggèrent les références picturales ou dans une pièce interdite, intime et odorante, que montrent des détails très féminins. Le jeu des miroirs renforce la personnalité d’Elle centrée sur elle-même et instaure l’incommunicabilité renforcée par un texte illisible incrusté dans l’image.
Chez eux, changement radical de décors et de sens de lecture. C’est tout le contraire nous dit le texte. La porte ouverte accueille le lecteur à l’extérieur où règne la nature, animale et végétale. Les images aux couleurs automnales prennent du relief, les éléments semblent palpables. C’est l’univers de la découverte, de l’expérimentation, de l’autonomie. Du goût aussi puisqu’il est question aussi de cuisine. L’enfant apprend en jouant comme le suggère le jeu du pendu.
Chez lui enfin, retour à l’horizontal. On y entre par la couverture d’un livre ancien. Tout semble lisse et calme. Les odeurs de tabac sont palpables. C’est l’univers du savoir, de la sagesse et de la transmission.
Que va garder l’enfant de tous ces adultes ? On découvre alors que le narrateur est une narratrice qui a bien l’intention de prendre un peu de Chez elle, Chez eux et Chez lui pour grandir et devenir adulte et femme. Mais de Chez elle, cette féminité inaccessible, elle ne veut rien garder. À moins que…
Cet album est paru en septembre 1997, année de naissance de mon fils aîné. Je ne l’aurais sans douté jamais croisé sans l’atelier de Sophie Van der Linden. En tout cas je n’aurais sans doute jamais su vous en parler sans sa boîte à outils !
No Comment