Le grand match de Fred Bernard et Jean-François Martin

Un superbe album sur la puissance du sport à résister à l’oppresseur

Voladia, le narrateur, est un des joueurs de l’équipe de rugby désignée par le Guide pour affronter et se faire humilier par les Aigles de Fer, l’équipe du gouvernement. Mais ce jour-là, les coéquipiers de Voladia, menés par un capitaine dont le père et le frère ont été tués par la dictature en place, ont décidé de jouer pour gagner, résister et redonner confiance au peuple. Au prix de leur vie…

C’est la Coupe du monde de rugby et cet album tombe à point nommé. Mais ce serait très réducteur de s’en tenir juste à cet événement sportif, car sa résonance dans l’actualité va bien au-delà. En quelques mots – choisis avec une grande justesse­ comme toujours dans les histoires de Fred Bernard – ­ cet album raconte aussi comment un pays démocratique a basculé du jour au lendemain sous le joug d’un Guide, obnubilé par l’identité nationale.

« Depuis des années, lentement, le Guide avait monté dans les sondages et nous l’avions élu sans nous méfier », explique Volodia. Cette première phrase, qui s’est illustrée vraiment dans le passé, fait encore frissonner aujourd’hui. « J’avais été choisi dans l’Équipe nationale parce que je n’étais ni rom, ni juif, ni noir, ni musulman, ni opposant repéré », continue Voladia. À l’heure où l’on peut entendre des propos archaïques et vénéneux du type « race blanche » applaudis dans une émission de TV de grande écoute, cette deuxième phrase fait carrément froid dans le dos.

Les illustrations de Jean-François Martin, d’un esthétisme remarquable, sont puissantes et empreintes de terreur. Les scènes de match, montrent la violence de l’enjeu qui va au-delà de l’exploit uniquement sportif. Les scènes politiques renvoient à un épisode sombre de l’Histoire (la moustache du Guide est évocatrice) tout en y ajoutant de subtiles différences comme pour prévenir le jeune lecteur qu’un sombre avenir est toujours possible. Et puis, il y a cette scène solennelle et fraternelle autour du bonsaï si petit – à côté des montagnes de muscles qui se confondent – capable d’insuffler un courage immense.

Ce grand match là, c’est aussi celui qui oppose deux conceptions du sport. La première qui consiste à en faire un outil de propagande nationale, une démonstration de puissance, un pouvoir hypnotique. Et une seconde, épanouissante, empreinte de valeurs humanistes et capable de résister.

À la fin de l’album, une double page documentaire rappelle quelques grands moments sportifs qui ont fait vaincre la liberté. Avec cette phrase de Nelson Mandela : « Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi unique. Le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir. Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. Le sport se joue de tous les types de discrimination. »

Albin Michel Jeunesse
Le grand match, Fred Bernard et Jean-François Martin, Albin Michel Jeunesse, 38 pages, 13,90 €. Dès 8 ans.

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