Podcast. « Pour Bamba, avoir cet enfant, c’est la seule façon de s’en sortir »

Podcast. « Pour Bamba, avoir cet enfant, c’est la seule façon de s’en sortir »

Anne loyer ouvre le bal avec son roman Bamba en participant au premier épisode de Lire entre les lignes avec Livresse, une série de Podcast sur la littérature jeunesse.

Pour ce tout premier Podcast, j’ai demandé à Anne Loyer de nous parler de Bamba, son dernier roman ado paru aux éditions du Rocher au début du mois mars. Ce mercredi 22 avril 2020, confinement oblige, nous avons pris un rendez-vous téléphonique. Plus de 200 km nous séparent. Elle est à Bourges. Moi à Paris.

« Allo, Anne-Flore ? »
« Bonjour Anne, ça va ? »
« Ouiii »

La première fois que j’ai rencontré Anne Loyer, c’était en 2013 au Salon de la 25e Heure du livre. Son roman junior I comme Iris faisait partie de la sélection du prix dimoitou. Je me souviens parfaitement de son enthousiasme et de son dynamisme. De son sourire aussi. Elle avait quitté depuis peu le journalisme pour se consacrer entièrement à la littérature jeunesse.

Entre nous, le courant est tout de suite bien passé. Nous sommes restés en contact et nous nous donnons rendez-vous tous les ans au Salon de Montreuil. L’occasion de faire le point sur nous dernières lectures, (Anne anime aussi le blog Enfantipages que je vous recommande) et sur sa dernière parution.

Depuis sept ans, elle a publié de nombreux livres. Des albums mais aussi des romans ados, plutôt intimes, qui dressent des portraits sensibles de jeunes filles et de jeunes garçons un peu cabossés, surtout malmenés par une vie qui ne leur fait pas de cadeaux.

« Ce que j’aime moi dans les romans que j’écris, c’est prendre un personnage à un point A, puis l’emmener à un point B. Tout le roman va être une construction de soi. »

Comme Kader, 16 ans dans La Belle Rouge ; Raphaël, 15 ans dans Car Boy ou encore Axelle, 16 ans, dans La Fille sur le toit.

Extrait : « C’est tellement bon que ça la gonfle de l’intérieur »

220 pages, 12,90 €.

C’est avec ces mots qui ondulent sur une piste de danse, que commence Bamba. Bamba, c’est aussi le prénom, sorti tout droit d’un jukebox, que porte le personnage principal de ce roman. La jeune fille de 17 ans, en terminale, vit avec son père et sa grand-mère dans un pavillon au milieu des tours.

C’est là qu’elle croise Noah, beau comme un Apollon. Bamba pense vivre LE coup de foudre. C’est intense et beau, mais ça se termine fissa avec un faux numéro de portable et un retard de règles. Noah disparaît, Bamba est enceinte et décide de garder l’enfant.

« En fait au départ, c’est une lecture qui m’a donné la clef. Baby Love de Joyce Maynard raconte des portraits croisés de jeunes filles adolescentes et déjà mère. Ces portraits de jeunes filles fragiles et touchantes m’avaient particulièrement bouleversée et du coup, parce que ça le roman passe aux États-Unis, moi j’ai eu envie de voir ça en France. Et pourquoi pas d’adapter cette situation que l’on ne voit pas tellement finalement en roman adolescent.

On voit des jeunes filles qui tombent enceintes, on voit souvent des avortements ou le choix d’accouchement sous X, mais le fait de garder l’enfant, finalement j’en avais assez peu vu. Je me suis dit que c’était quelque chose à explorer parce que ça existe. C’est comme ça qu’est née cette envie-là.

Mais il y avait pour moi aussi un autre facteur qui était très important. Mon premier roman adolescent, quand j’ai commencé à écrire il y a une dizaine d’années, s’appelait Candy et Candy c’était tout le contraire. C’était aussi une jeune fille qui tombait enceinte mais elle, elle choisissait l’avortement. Je me sens beaucoup plus proche quelque part de Candy que de Bamba. J’avais envie de voir cet autre versant du choix. Là aussi on parle de choix. Le corps des femmes leur appartient et c’est à elle de choisir et j’avais envie de voir ce choix très différent et d’essayer de comprendre pourquoi des jeunes filles aussi jeunes décidaient de garder l’enfant plutôt que de choisir l’avortement.

Autour de Bamba, c’est l’incompréhension, la consternation, la désolation. Son meilleur ami Mozart, tente de la raisonner, mais il sent bien qu’il est inutile de chercher à la dissuader. Son père est furax, sa grand-mère méprisante. Quant à Solange, la CPE du lycée, elle prend acte de sa décision et fait son job, distante et froide, face à une Bamba déterminée.

« Bamba n’est pas une fille « facile » à magner et c’est une forte tête. Au début du roman parfois, on a envie de la secouer, de lui donner des claques, un peu comme Mozart qui est son meilleur ami, qui est fou d’elle mais qui n’ose pas lui dire car il sait qu’il a aucune chance.

Je me mets un peu à la place de Mozart et je me dis : elle exagère, elle ne prend pas les bonnes décisions, elle va droit dans le mur. C’est exactement ça. Elle sait qu’elle va vers des difficultés mais elle ne veut pas en entendre parler, parce que pour elle finalement, avoir cet enfant, c’est la seule façon de s’en sortir .

En fait, elle n’a tout simplement pas confiance en elle. Elle se sent totalement démunie face à la vie. Elle n’est pas bonne en classe. Son père qui lui reste ne s’occupe pas d’elle, sa grand-mère est tout le temps sur son dos mais n’a aucune empathie envers sa petite fille. Tout ça fait que finalement elle est très seule. C’est une enfant solitaire mais bravache qui veut, malgré tout, malgré les barrières qu’on lui met dans pattes, elle veut vraiment s’en sortir toute seule et moi je trouve ça terriblement émouvant et très courageux de sa part. »

Bamba donne naissance à Kylian, s’émancipe officiellement et part vivre chez Paul dans un bled paumé. Le vieil homme pensait offrir sa chambre à un étudiant avec un avenir tout tracé, il se retrouve avec un bébé et une mineure qui danse la nuit pour fuir sa réalité.

« Ce retraité qui est veuf, ses enfants sont partis à l’étranger, il a vraiment besoin d’une compagnie et il va tomber sur elle, un peu par hasard. Il va être très important car il va lui apporter un cadre sans la rigueur paternelle puisque ce n’est pas son père, mais en la mettant en face de ses contradictions, toujours avec bienveillance. Même si parfois, et c’est normal aussi avec tout ce qu’elle lui fait subir, il va être un peu dur.

Il va lui dire : « Voilà, tu veux t’assumer très bien mais quand tu n’auras plus les aides de l’État ou qu’elles vont diminuer, qu’est-ce que tu vas faire ? Comment tu vas faire ? » Et ce qu’elle ne veut pas entendre, parce qu’elle sait bien que toutes ces difficultés vont lui arriver à la tronche, elle les repousse, elle les efface puis finalement elle va y être confrontée. Grâce à Paul qui va lui tendre la main, elle va se redresser et aller de l’avant. »

Le roman alterne les moments présents écrits à la première personne comme celui où Bamba, se réveille dans la voiture de Paul, qu’elle emprunte sans permis la nuit, coincée dans un fossé.

« Cet accident va être le déclic pour qu’elle se rende compte qu’elle ne peut pas continuer comme ça. Qu’à un moment donné a vie ne peut pas se réduire à ça : la journée, changer les couches et la nuit se perdre dans la danse. »

Et puis, il y a tous ces moments passés. Ceux qui précèdent la grossesse. Et ceux qui remontent avant les dix ans de Bamba, avant la mort de sa mère.

« Bamba, elle va vraiment changer au fil des pages. Il y a d’abord cette jeune fille un peu écervelée, un peu rentre-dedans et puis elle se retrouve enceinte. Mais au lieu de prendre ça comme un fardeau, quelque chose qui va l’empêcher de, elle va l’utiliser pour rebondir. Pour elle, ce n’est pas quelque chose qui va fermer son avenir, c’est quelque chose qui va l’ouvrir.

C’est ça que j’avais envie de montrer. Même si ça va être très compliqué, même si ça va être très dur. Même si elle va se prendre des portes, même des claques, je pense aussi à son père, elle va l’utiliser comme une force et on va la voir grandir, prendre conscience de. »

Extrait : « Une fatigue géante m’anéantit »

Les mots semblent eux aussi emportés par ce trop-plein d’émotions que Bamba s’autorise enfin à extérioriser. L’écriture, rythmée, parfois à bout de souffle, se fond avec l’émotivité d’une Bamba instable et fragile, mais aussi courageuse et libre. Le roman qui en découle est à la fois sensible et puissant.

Avant de quitter Anne Loyer, je ne résiste pas à l’interroger sur Dandy la chanson de Souchon qu’elle cite dans son roman et qui permet de conclure cette rencontre sonore sur le lien indélébile de Bamba et de sa mère.

« C’est une chanson que j’adore tout simplement parce qu’elle parle de cette jeune fille qui danse sans repères, sans but, sans objectif, simplement pour ce désir et ce plaisir de danser et c’était comme ça que je voulais que l’on voie apparaître Bamba – c’est le premier chapitre où elle est en boîte de nuit et elle danse et c’est quelque chose qui ferme le livre aussi – parce que quand on danse, on peut oublier tout ce qui nous perturbe, tout ce qui gravite autour de nous et qui peut apparaître comme des difficultés, c’est une échappatoire.

Et cette chanson – sa mère le savait – elle ressemble à la maman de Bamba et à Bamba. Je trouvais que c’était un pivot intéressant – je l’ai mis à peu près au milieu du livre – un pivot essentiel, un partage entre la mère et la fille, une main tendue presque ou un passage de relais. »

Lire Entre les lignes avec Livresse, une série sur la littérature jeunesse
Pensée et produite par Anne-Flore Hervé
Musique : David Hilowitz
Illustrateur : Dominique Primault

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