Rage, Orianne Charpentier, Gallimard jeunesse
Le zoom de Livresse. Dans Rage, l’auteure jeunesse raconte la rencontre réparatrice d’une jeune réfugiée meurtrie avec un pitbull en sang. Un roman percutant à lire d’une traite
Mi-femme, mi-animal
Exilée, réfugiée mais détruite dans son intimité. Rage, c’est son surnom, tait son nom d’avant. Son enfance a explosé en mille morceaux alors qu’elle fuyait son pays en guerre. « Elle est devenue un être hybride. Ce qui la reliait à l’humanité a été piétiné. Une partie d’elle est à l’état sauvage », commente Orianne Charpentier. Pour survivre, Rage s’enferme dans une forteresse cerclée d’une colère brute, unique rempart capable de la maintenir au bord du gouffre. Artémis, elle aussi exilée, est la seule personne autorisée à y entrer. « Mais Artémis ne suffit pas pour sortir Rage de sa souffrance. »
Choc frontal
La jeune fille résiste à toutes les émotions pour ne pas flancher. Jusqu’à cette soirée où, tapie dans le jardin pour fuir les convives, elle croise le regard d’un pitbull blessé et y décèle l’espoir auquel elle ne croit plus. « Le roman est né de cette image qui s’est imposée à moi. Je savais que cette jeune fille et cette chienne étaient nécessaires l’une à l’autre pour se réparer. L’animal agit comme un miroir. Rage a une image d’elle morcelée et elle a besoin de ce miroir pour recoller les morceaux », analyse Orianne Charpentier.
Basculement
Rage n’a plus qu’une idée en tête : sauver la bête maltraitée et traquée. La jeune fille accepte alors l’aide de Jean, l’hôte qu’elle a repoussé quelques minutes auparavant, et de Dylan, l’ami d’Artémis. Pour la première fois, elle s’autorise un pas de côté pour s’éloigner de l’abîme. « Le moment clef, c’est lorsqu’ils portent ensemble la chienne avec la couverture. Cet objet la relie aux autres », remarque Orianne Charpentier.
Nuit décisive
« Dès le départ, j’avais envie de raconter une possible reconstruction, confie l’auteure. Mais il me restait à choisir comment. » Après Mauvaise graine et Après la vague, Orianne Charpentier s’illustre une nouvelle fois dans le récit intimiste, psychologique et sensible. Mais cette fois, elle se contraint à une temporalité (une nuit) qui ajoute au récit une urgence et une tension perceptibles dès les premières lignes ainsi qu’une densité qui s’impose par les non-dits.
Ecriture aux abois
Chaque mot percute par sa justesse. « Je ne voulais pas trop en dire et je m’interrogeais sur chaque mot », raconte Orianne Charpentier. Le lecteur ignore ce que Rage a subi juste avant son exil, mais l’écriture ciselée, ainsi que le rythme haletant, en disent long sur leurs conséquences dévastatrices, tout en laissant de l’espace à un avenir.
Contemporain et universel
En toile de fond, les mineurs isolés étrangers, et plus précisément les mineures, donnent au récit une dimension contemporaine. « Je ne me suis pas dit consciemment que j’allais écrire sur ce thème mais, compte tenu du contexte, ce n’est pas anodin que cette réfugiée ait jailli dans ma tête à ce moment-là, admet Orianne Charpentier. Je voulais aussi à travers ce roman parler aux femmes blessées dans leur chair. » Il en découle un roman court, intense et abouti, dont le propos universel résonne avec acuité dans l’actualité.
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