Anne Herbauts fabrique des livres en quatre dimensions

Anne Herbauts fabrique des livres en quatre dimensions

L’artiste belge a choisi le livre comme terrain d’expression de son art qui entremêle texte et images. Pour fêter son quart de siècle d’autrice-illustratrice, Casterman réédite ses albums incontournables en littérature jeunesse.

Au mois de juin, j’ai eu l’immense privilège de rencontrer Anne Herbauts, une grande artiste (au sens propre comme au figuré), chez son éditeur Casterman à Bruxelles. J’ai bu ses paroles ; suivi, subjuguée, les méandres de sa pensée ; et sourit à plusieurs reprises à ses droleries.

J’ai aussi aimé me balader avec elle pour la prendre en photo. La rencontre est parue dans dimanche Ouest-France mais vous pouvez aussi la lire ci-dessous. Bonne lecture.

Ses albums subjuguent, suggèrent, émerveillent. De Lundi à Toc, toc, toc en passant par Je t’aime tellement, leur puissance poétique désarçonne parfois, émeut souvent, ne laisse jamais indifférent. Alors, partir à la rencontre d’Anne Herbauts, dans sa ville natale à Bruxelles, s’annonce un peu intimidant. Sera-t-elle inaccessible et secrète comme son atelier qu’elle n’ouvre à personne ? « Mon atelier, c’est mon refuge, explique-t-elle, désolée mais inflexible. Si je laisse voir un projet en cours de création, c’est comme crever une chrysalide avant que le papillon ne soit prêt. Même avec mes proches, je suis capable de sortir les griffes. »

En revanche, chez son éditeur Casterman, le premier à l’avoir publiée en 1998, aucun signe d’agressivité. L’artiste, détendue, se sent même un peu chez elle. « Ils ont déménagé plusieurs fois, mais ils s’installent toujours dans des endroits avec une âme, chargés d’histoire bruxelloise », sourit-elle en arpentant le spacieux couloir vitré. Les bureaux se trouvent désormais dans les anciens locaux du torréfacteur Jacqmotte. Un comble pour l’artiste qui affectionne tant les cafetières. « C’est un bel objet olfactif, sonore et très graphique, confirme-t-elle. La cafetière est une dame qui pose une main sur sa hanche et qui montre quelque chose. Je suis en train de la quitter doucement car je me méfie des « tics »… mais elle revient toujours. » Elle en a même glissé une « très belle » dans son sac « pour la photo ».

« Le livre, c’est tout ce que j’aime. »

Sans transition, Anne Herbauts, 47 ans, se met spontanément à dérouler ses 25 ans de carrière d’autrice-illustratrice qu’elle décompose en cycle de dix ans. Le premier, qu’elle qualifie de « naïf », « ébloui », « facile d’accès ». Le deuxième, où elle a eu envie « de faire parler le livre dans sa matière ». Elle entame le troisième, « plus narratif ». Avec élan, l’artiste se dévoile très généreuse en paroles imagées, passe d’une idée à l’autre sans crier gare, déplie les bras pour mimer des rabats. Son aisance prend vite la forme d’un discours captivant, teinté de notes d’humour, parfois d’autodérision… L’interrompre se révèle délicat, elle ne s’en offusque pas. Comment décide-t-on un jour de faire de l’album son terrain d’expression artistique ? « Le livre, c’est tout ce que j’aime. »

L’artiste rembobine davantage le fil, évoque son « enfance préservée » et « ses vacances un peu sauvages », sans télévision mais avec beaucoup de livres et de lectures à voix haute. « Le livre a été très présent en son, en odeur, en volume. » Dès six ans, son goût prononcé pour le dessin se concrétise par plus de dix années de cours académiques d’arts plastique en parallèle de l’école. « J’ai eu la chance d’expérimenter très loin toutes les formes d’art plastique qui sont devenues mon vocabulaire graphique. »

« Un livre c’est quelque chose d’entier »

À 17 ans, elle tente des études de lettres mais ne sent pas prête à disséquer des poèmes. Elle se tourne vers les écoles d’art et s’inscrit aux Beaux-Arts grâce à sa rencontre avec Anne Quévi, responsable de l’atelier illustration des Beaux-arts « Elle m’a parlé du rapport texte-image et je suis sortie éblouie. » C’est là qu’elle apprend qu’il ne suffit pas de faire de jolies images pour réaliser un livre. Elle lâche son côté « je veux séduire par l’esthétique » pour une réflexion sur le fond et la forme. « Un livre c’est quelque chose d’entier. On doit faire corps avec le sujet et l’objet. Comme dans la poésie, le propos est bref mais pas nécessairement facile. »

Elle n’apprend pas en revanche à parler aux maisons d’édition… Par chance, Arnaud de la Croix, éditeur chez Casterman, est invité à son jury de fin d’étude devant lequel elle présente Que fait la lune la nuit ? Il décide de le publier en taille réelle, un grand format. Les libraires ne savent pas où ranger l’album mais à Noël tout est vendu. « C’était osé de sa part, reconnaît-elle. Grâce à ce succès, nous avons signé notre liberté avec Casterman. »

Cette carte blanche l’autorise à explorer le livre dans toutes ses dimensions. « Quatre », précise-t-elle avec un regard malicieux. En alliant le geste à la parole, un livre dans les mains, elle se met à décrire l’objet, constitué de plusieurs peintures aplaties, réduites à quatre couleurs et emballées dans une couverture et une quatrième de couverture. « Mais quand le lecteur prend le livre, l’ouvre et le parcourt de page en page, cela implique du temps (thème omniprésent dans son œuvre). C’est ce temps de lecture que j’appelle la quatrième dimension du livre. Moi, je pose les choses pour qu’elle puisse se faire. »

« Les contraintes font parties de l’histoire »

Anne Hérauts a désormais publié une cinquantaine d’albums – dont le magistral Quelle est la couleur du vent ? – chacun dans des styles très différents mais tous identifiables. « On reconnaît sa vision d’artiste, confirme son éditrice Clémence Bard qui la suit depuis cinq ans. À chaque nouvelle idée, elle nous en parle puis elle s’enferme dans sa bulle créatrice ménageant ainsi le suspense. » Ses seules contraintes sont techniques car fabriquer un livre, « cela signifie travailler avec la fabrication et prendre en compte son coût, comme le prix du papier. Ça n’a pas de sens de fabriquer un livre inaccessible ». Loin de l’empêcher, ces contraintes nourrissent sa création, « elles font partie de l’histoire », affirme-t-elle. Son prochain album chez Casterman sort en novembre.

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