Anne Loyer répare les ados cabossés
Dans Car Boy, l’autrice jeunesse raconte la rencontre électrique de Raphaël, 15 ans, en vrille, avec son père, en vrac, au cœur d’un cimetière d’épaves
Tôles froissées
Le matin, la mère de Raphaël riait. Le soir, elle était morte. L’ado de 15 ans se retrouve catapulté chez son père, un inconnu, dans un lieu métallique et froid. « J’ai toujours été fascinée par les carrosseries remplies de destins brisés », commente Anne Loyer.
L’autrice admet que ce décor de tôles froissées a un lien avec son ancien métier de journaliste. « Pour illustrer les faits divers, je devais prendre en photo la voiture accidentée. Ces lieux sont remplis d’histoires fantômes qui ne demandent qu’à être inventées. Avant même de connaître Raphaël, je savais que le décor du roman serait une casse. »
Incommunicabilité
L’adolescent se retrouve tout de suite en osmose avec cet univers déglingué dans lequel il se réfugie dès qu’il peut. En revanche, la première rencontre avec Ben, son père, ressemble davantage à deux autos tamponneuses qui se percutent de plein fouet. Et ça fait beaucoup d’étincelles.
Le vieux est contraint et forcé d’accueillir Raphaël jusqu’à sa majorité, à cause d’une lettre qu’il lui brandit sous le nez. « T’as plus que trois ans à attendre. Ça va aller vite », lui lâche-t-il en guise de bienvenue. De cette rencontre électrique, s’installe une incommunicabilité hostile.
Respirations
Comment faire le deuil de sa mère dans une atmosphère aussi étouffante dans laquelle les silences dissimulent des non-dits ? Raphaël se braque et se met à sécher le collège. Une attitude qui inquiète sa demi-sœur, Mylène, un canon de deux ans son aînée, et qui interroge la petite voisine Kathia, 8 ans, clouée dans un fauteuil roulant et dont la joie de vivre ébranle le garçon.
L’une, présente à mi-temps, permet à Raphaël d’échapper à la lourdeur paternelle en le ramenant à des problématiques d’ado. L’autre, une énigme, oblige Raphaël à s’interroger sur sa propre souffrance. « Ce sont deux respirations. Elles lui montrent d’autres possibles. » Elles le bousculent aussi.
Turbulences
La plume d’Anne Loyer épouse parfaitement l’état chaotique de son personnage. Distant et dénué d’affect face à Ben ; sur ses gardes et en émoi face à Mylène ; déstabilisé et apaisé face à Kathia.
Après le déni de la mort brutale de sa mère, l’ado va se confronter à la vérité, découvrir Fanny, sa mère défunte, ouvrir et nuancer son regard. « Ça lui demande un effort et ce n’est pas facile. Mais son père n’est pas qu’une brute. C’est aussi un homme qui souffre. »
Chaque étape est douloureuse mais nécessaire pour faire le deuil.
Porte de sortie
L’auteure aime les ados cabossés et elle les décrit avec justesse sans leur faire de cadeau (La Belle Rouge, Happy-End). Elle dresse ici le portrait d’un ado dans la tourmente et, comme toujours, elle ouvre des portes de sortie.
Mais c’est à Raphaël de décider de les franchir pour sortir de l’impasse dans laquelle il s’est terré.
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