Marie-Aude Murail, lauréate du Hans Christian Andersen : « Ce prix, c’est aussi à mes lectrices et à mes lecteurs que je le dois. »

Marie-Aude Murail, lauréate du Hans Christian Andersen : « Ce prix, c’est aussi à mes lectrices et à mes lecteurs que je le dois. »

L’écrivaine a reçu la reçu, lundi 21 mars 2022, le prix Hans Christian Andersen. Il a juste un an, le 12 avril 2021, je la rencontrais chez elle à Bonny-sur-Loire.

« Quand on a voulu si fort une chose et qu’on l’obtient enfin, c’est presque déréalisant ! Depuis que j’ai appris la nouvelle que j’étais la lauréate 2022 du prix Hans Christian Andersen, je suis sur un petit nuage, ce qui me permet de discuter avec René Guillot (1900-1969), le dernier et le seul écrivain français à ce jour qui a reçu ce prix. (…) Je sais que mes lectrices mes lecteurs se réjouissent avec moi. Ce prix, c’est aussi à elles et à eux que je le dois. »

Le prix Hans Christian Andersen 2022 dans la catégorie auteur a été annoncé lors de la Foire du livre jeunesse de Bologne lundi 21 mars. Deux jours plus tard, le 23 mars, paraissait le tome 3 d’Angie, intitulé A l’hôtel de Pourquoi pas ? (en cours de lecture). Quel timing et surtout bravo à elle !

C’est la première fois que la France remporte ce prestigieux prix depuis 1964. Il récompense les réalisations de toute une vie et est décerné à une auteur et un illustrateur dont les œuvres complètes ont apporté une contribution importante et durable à la littérature jeunesse.

>>> Retrouvez ci-dessous son portrait paru dans Ouest-France.

Marie-Aude Murail : « Moi, je veux être du présent »

L’écrivaine écrit pour les enfants et les ados depuis plus de trente ans. A 67 ans, elle est toujours à l’affût, en permanence en train d’apprendre.

Sa silhouette coiffée d’un béret apparaît en haut de l’escalier. Accueillante, souriante, un peu impressionnante aussi. Après Paris, Bordeaux et Orléans, Marie-Aude Murail vit désormais avec son mari, à Bonny-sur-Loire, dans la maison de son père. « Il me l’a léguée. Au départ, c’était un cadeau empoisonné qui fuyait de partout, annonce-t-elle sans détour. Et puis, nous sommes venus un été et nous y sommes restés. C’est une maison pleine de recoins qui permet de se faire rencontrer les gens. Mais là, elle est vide. »

En ce début du mois d’avril 2021, l’écrivaine y est confinée pour la troisième fois depuis plus d’un an. « Les rencontres scolaires ont été maintenues en visio, pas question de laisser tomber les enfants », martèle-t-elle. Elle ne cache pas sa frustration de ne plus les voir en vrai. Tout en admettant que, sans ces confinements elle n’aurait sans doute pas pu travailler autant avec son frère.

À quatre mains

À distance et dans l’urgence, Marie-Aude et Lorris Murail coécrivent la série Angie. Le premier tome est paru en février. Le deuxième sort en septembre. « Nous nous sommes d’abord contactés plusieurs fois dans la semaine, puis tous les deux jours, puis tous les jours, au fur et à mesure que sa maladie de Charcot empirait. » Sa voix se noue, ses yeux s’embrument, sa douleur déborde. La veille, son frère n’a pas réussi à lui parler (1).

Dans le clan Murail, les enfants naissent avec un stylo dans la main, doté d’une fibre artistique transmise par un père poète. Son frère aîné Tristan compose des musiques. Sa petite sœur Elvire, alias Moka, et son frère Lorris écrivent des histoires. Comme Marie-Aude, la numéro 3 de la fratrie.

Ecrire pour être lue

Sa bibliographie pour enfants et adolescents mesure deux pages et demie. « À 13 ans, j’écrivais déjà pour être lue par ma petite sœur, se souvient-elle, amusée. C’était les 7-12 ans ma cible. Certes mon premier livre publié en 1985 s’adressait aux adultes, mais j’ai très vite retrouvé ma patrie. »

Depuis plus de trente ans, l’écrivaine se complaît dans la littérature jeunesse. « J’aime être écoutée par les enfants. J’aime l’exigence des adolescents. Surtout, pour écrire en jeunesse, il faut être de ce monde-ci. Si tu commences à dire « De mon temps », tu dégages. Les jeunes sont le temps présent et le temps à venir. Et moi, je veux être du présent. Hier, c’est déjà trop loin. »

Toujours à l’affût

Résultat, à presque 67 ans (le 6 mai), Marie-Aude, toujours à l’affût, reste connectée avec une aisance déroutante et une longueur d’avance. « Actuellement, les jeunes se mettent à shifter. Ça veut dire quoi shifter ? devance-t-elle. C’est partir de la current reality à la desired reality. En gros, tu fantasmes. Donc, ces jeunes gens s’allongent sur leurs lits, ferment les yeux et partent dans une autre réalité comme je le faisais à cinq ans… sans forcément m’allonger. »

À l’époque, elle est en cours préparatoire dans un lycée pour garçons, au Havre, où sont scolarisés ses frères. Et dans sa tête, Marie-Aude n’est pas une fille. « Quand je jouais, j’avais un prénom de garçon. Quand je rêvais, j’avais un corps d’homme. » Récemment – « Thanks Internet » – elle a découvert la dysphorie de genre. « Est-ce que c’était ça ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr en revanche, c’est que j’étais en colère. Contre qui ? Contre quoi ? La colère est une composante de moi. »

Une vie d’aventurier

Alors, elle s’invente une vie d’aventurier dans un pays imaginaire et s’évade de ses quatre murs parisiens où elle emménage à l’âge de 8 ans. Cette « réalité désirée », elle la quitte définitivement… à 40 ans, à la mort de sa mère. « La magie ne fonctionnait plus, puisque je n’avais pas pu la sauver ! » C’est aussi à cet âge-là que sa fille naît, après deux garçons. « Elle m’a appris que c’est bien aussi d’être une fille. »

Depuis, l’écrivaine, toujours en quête, scrute le monde contemporain avec acuité, un cahier de notes à portée de main. Elle raconte la vérité à ses jeunes lecteurs, sans tabou, mais l’explicite avec humour. « La fiction est un regard qui prend du recul et qui réorganise les choses incompréhensibles en leur donnant une cohérence », analyse-t-elle tout en admettant qu’aujourd’hui, tout est plus précaire, plus éphémère. Elle le traduit désormais dans ses histoires. « Notre univers est vulnérable. »

(1) Cet article est paru dans Ouest-France lundi 26 avril 2021. Depuis, Lorris Murail est décédé au mois d’août 2021 et le deuxième tome Souviens-toi de septembre est sorti en septembre.

Havrais et irrésistible
Retrouver Angie, préado hypermnésique, en stage officieux aux côtés d’Augustin, capitaine de police aux méthodes peu orthodoxes, est la promesse d’une nouvelle enquête truculente au cœur du Havre post-confiné mais, cette fois-ci, rattrapé par son passé (le bombardement de septembre 1944 et une cold case). D’autant que les auteurs – le clan Murail – pimentent l’intrigue des multiples ressorts du polar avec un humour parfois grinçant, peignant au passage une société contemporaine chamboulée par un virus intrusif… Le tome 3 est attendu en mars 2022.

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