Rencontre avec Jean-Claude Mourlevat, le « Nobel » de la littérature jeunesse

Rencontre avec Jean-Claude Mourlevat, le « Nobel » de la littérature jeunesse

Le talentueux raconteur d’histoires reçoit le prestigieux prix international Astrid Lindgren ce lundi 31 mai. C’est le premier écrivain français à l’obtenir.

« C’était le 30 mars. J’étais à l’enterrement de ma tante qui est en même temps ma marraine. Je l’aimais vraiment beaucoup. Il faisait un temps printanier extraordinaire. Au cimetière, les oiseaux s’égosillaient. Je sors avec un peu de tristesse, un peu brouillé. Et là, je vois plusieurs messages sur mon portable qui me disent de rappeler un numéro en Suède… »

A la question, comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que vous étiez lauréat du prix Astrid Lingren Memorial Award (Alma), Jean-Claude Mourlevat ne répond pas. Il raconte une histoire. Installé confortablement dans son canapé, sa voix semble sortir d’un livre. Au début, c’est un peu triste, mais très vite, ça s’emballe. « C’est incroyable, I can’t believe it. Incredible ! Unexpected ! » Là, il fait une pause puis esquisse un sourire. « La dame m’avait dit de prendre une bonne respiration. Mais elle ne m’avait pas dit que j’étais lauréat ! J’ai anticipé l’annonce. Je me suis rendu compte ensuite que c’était une sacrée muflerie ! »

« Raconter, c’est sa façon d’être au monde »

En attendant, sa réaction a bel et bien été enregistrée et diffusée lors de l’annonce officielle, le même jour en Suède, du lauréat du prix Astrid Lindgren 2021 (1), récompensant ainsi ce raconteur d’histoires – à l’oral comme à l’écrit – talentueux et joyeux. « Avec Jean-Claude, tout est sujet à histoire, c’est un mode d’existence, confirme l’écrivaine Anne-Laure Bondoux, sa partenaire littéraire avec qui il a écrit deux romans pour adultes. Raconter, c’est sa façon d’être au monde. »

C’est aussi un plaisir communicatif qui prend sa source à quelques kilomètres de sa maison perchée sur une colline de Saint-Just-Saint-Rambert (Loire). D’un geste, l’écrivain montre les monts du Forez à travers la baie vitrée. Derrière, c’est l’Auvergne où il a grandi, près d’Ambert. « Nous étions six frères et sœurs à la maison. J’étais le cinquième. C’était à celui qui serait le plus inventif pour raconter des anecdotes vécues, en les arrangeant bien sûr, pour faire rire. Cette énergie dans les tablées, ça a été vraiment fondateur pour moi. »

Il y a aussi les récits inventés avec son plus jeune frère, le soir, dans la chambre commune. «  Une d’entre elles commençait par :« Ce serait un petit hérisson qui voudrait aller chez le coiffeur. » Un hérisson, ok, mais chez le coiffeur… là l’imagination s’enflamme », commente-t-il geste à l’appui. Comme il ne se souvient plus de la suite, il en imagine une autre, plus de cinquante ans plus tard… Jefferson, son dernier et 17e roman est paru en mars 2018.

Jean-Claude Mourlevat, 69 ans, a mis du temps à devenir écrivain et encore plus à oser le dire sans rougir. Sa fibre créatrice s’illustre en famille, mais à l’extérieur de la maison, elle se se met en veille derrière sa timidité. « Jeune adulte, j’étais encore très réservé. » L’idée de devenir écrivain est d’ailleurs à des années-lumière de lui. Alors, après le bac, il fait des études de langue et devient prof d’allemand sans en avoir rêvé. Il apprécie le métier mais s’en lasse au bout de huit ans.

« L’idée d’écrire m’a toujours ému »

« L’écriture est en réalité l’aboutissement d’un long chemin de création », synthétise-t-il avant de dérouler les étapes. Il est d’abord comédien, ce qui, pour un timide, agit comme une bascule. « La confrontation avec le public, la parole, l’acceptation de l’idée culottée de se mettre en avant… Je l’ai fait, mais ça me rendait malade. Ce n’était pas pour moi. » Le rôle de metteur en scène, en revanche, lui sied à ravir, aussi bien pour sa dimension créative que collective… Là, il s’éclate jusqu’à ce qu’un ami comédien lui demande de lui écrire des contes inédits pour la scène. « C’était en 1996. J’ai dit oui. L’idée d’écrire m’a toujours ému. » Comme pour sa maîtresse à l’âge de 7 ans, il y met le meilleur de lui même. Ses textes font mouche et les spectateurs l’encouragent à les publier. Sur cinq contes envoyés, trois albums voient le jour. Alors il propose des histoires plus longues en jeunesse puisque c’est là qu’il a mis un petit doigt de pied.

L’enfant Océan, son troisième roman, rencontre le succès. Idem pour la La Rivière à l’envers. « Je commençais même à en vivre. » A partir du Combat d’hiver, en 2008, Jean-Claude Mourlevat s’autorise enfin à dire « je suis écrivain », sans penser « mais pour qui tu te prends mon garçon ? »

La Ballade de Cornebique, Le Chagrin du roi mort, Terrienne… Depuis presque vingt-cinq ans, Jean-Claude Mourlevat raconte des histoires dans les livres, traduits dans de nombreuses langues, qui marquent longtemps les lecteurs. Son écriture est simple, mais dedans, il y a beaucoup. Après une période de doutes, il s’est remis à écrire, une nouvelle aventure de Jefferson. « Je suis plus qu’heureux. Je jubile carrément, annonce-t-il les yeux brillants. J’espère que j’écrirai longtemps, que j’aurai l’énergie et la tête pour ça car, quand je n’écris plus, je suis moyennement bien. L’écriture et la création me constituent en profondeur. »

>>> Rencontre parue dans dimanche Ouest-France le 9 mai.

(1) Le @astridlindgrenmemorialaward, créé à la mort de la créatrice de Fifi Brindacier, récompense depuis 2003 des auteurs, des illustrateurs ou des organisations dont les contributions en faveur e la littérature jeunesse sont jugées remarquables. Jean-Claude Mourlevat, premier lauréat français, rejoint notamment Maurice Sendak, Philip Pullman, Kitty Crowther ou Shaun Tan.. Le prix est doté d’une récompense de 5 millions de couronnes suédoises, soit l’équivalent de plus de 550 000 euros.

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