Les Amours d’un fantôme en temps de guerre, Nicolas de Crécy, Albin Michel
Quand le merveilleux se cogne à l’abject, cela donne une fable ectoplasmique, en mots et en dessins, qui en dit long sur la nature humaine. Les Amours d’un fantôme en temps de guerre a remporté le Prix Vendredi 2018.
Avec Les Amours d’un fantôme en temps de guerre, Nicolas de Crécy fait pour la première fois une apparition dans la littérature jeunesse. Depuis Foligatto paru en 1991, l’artiste excelle dans tout ce qu’il entreprend, collectionne les prix prestigieux et explore d’autres formes narratives comme le cinéma d’animation. L’histoire de son jeune fantôme qui traverse un siècle de guerre a encore une fois été salué par la critique, en témoigne le prix Vendredi remporté mardi 16 octobre.
Adolescence spectrale
Le titre comme la couverture ne laisse aucun doute au lecteur. L’aventure s’annonce fantasmagorique. Le narrateur est bel et bien un jeune fantôme, qui entre dans l’adolescence… à 89 ans.
Ses parents ont disparu lorsqu’il avait 15 ans. Le potentiel romanesque du protagoniste est d’ores et déjà posé. « Les spectres sont intéressants car ils permettent de parler de la condition humaine avec distance », raconte Nicolas de Crécy. Son portrait, un simple drap blanc esseulé sur un parquet, le rend particulièrement touchant.
Des mots et des images
L’artiste dessine mais il aime aussi écrire. Son style poétique, aussi fluide que le drap de son personnage principal, cueille le lecteur avec délicatesse, lui donne la règle du jeu pour lui permettre de s’envoler avec son personnage principal et le comble avec une deuxième voix narrative, des images éblouissantes qui prolongent le texte, ouvrent de nouvelles perspectives et instaurent un rythme.
« L’écriture nourrit le dessin et inversement », commente l’artiste. C’est juste très beau à lire et à voir.
Premiers émois
Même si à hauteur de jeune fantôme, des non-dits ne lui permettent pas encore de tout comprendre, l’heure est grave. Le protagoniste n’en est pas moins un adolescent et face à Lili endormie, certes plus âgée que lui, il « admire les lignes harmonieuses de son tissu » et éprouve de nouvelles émotions et des sentiments ambivalents.
C’est aussi l’âge où l’on transgresse les interdits. Un fantôme ne doit pas se lier avec les êtres vivants, c’est la loi. Mais en temps de guerre, les lois sont fébriles. La chienne Boulette fait désormais partie de la vie du petit fantôme et devient un personnage à part entière du roman.
Guerre, perte et fragilité
Ce que vivent les fantômes est un avant-goût de ce que vont vivre les humains. La guerre qui oppose les fantômes Acides aux fantômes Résistants se dévoile à travers le regard du protagoniste dans toute son atrocité.
La terreur est palpable, les collaborateurs abjects, l’idéologie machiavélique. La cruauté belliqueuse n’épargne personne. Sauver Lili ? Retrouver ses parents ?
Le jeune fantôme, qui grandit trop vite, espère encore et opte pour la résistance active. Il s’infiltre chez l’ennemi, expérimente le pouvoir manipulateur du chef Acide et touche au plus près son dessein démoniaque. La guerre des fantômes se termine… le 1er septembre 1939 par la victoire des Résistants.
Reste la question finale. Dans ce monde ectoplasmique, l’acidité a-t-elle vraiment été éradiquée ? « Je laisse au lecteur le loisir d’interpréter ma proposition comme il l’entend. Cependant, le thème qui m’a motivé au départ reste lisible ; il s’agit de la fragilité de plus en plus évidente du système démocratique tel que nous le connaissons en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale », conclut Nicolas de Crécy.
(1) Propos recueillis dans le dossier de presse. Toutes les illustrations sont issues du roman ©Les amours d’un fantôme, Nicolas de Crécy, Albin Michel.
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