Esther, Sharon E. McKay, l’école des loisirs
Une histoire romanesque et historique qui résonne avec acuité dans le présent.
1735. Esther, 14 ans, vit à Saint-Esprit près de Biarritz. La religion juive de ses parents oblige sa famille à vivre dans un ghetto avec des règles strictes qui étouffent la jeune fille. Quant aux regards de ses pairs et, surtout, de sa grand-mère, ils semblent la juger, voire la condamner. Cette hostilité permanente est liée à sa naissance illégitime qu’on lui cache, sa vraie mère étant morte en couches.
Afin de sauver sa réputation, son père la promet à un vieux marchand juif et l’envoie en Hollande pour parfaire son éducation avant son mariage. Le bateau sombre dans un incendie. L’adolescente est sauvée in extremis par un jeune marin mais est laissée pour morte…
Commence alors pour Esther une vie clandestine, rugueuse, somptueuse, travestie mais toujours tempétueuse qui emmènera la jeune femme, libre, de l’autre côté de l’Atlantique.
Double ou triple peine ?
Esther est condamnée deux fois : à l’intérieur et à l’extérieur de sa religion. À l’intérieur en tant que fille illégitime qui n’a pas de place dans sa communauté. À l’extérieur pour appartenir à une religion minoritaire, qui nourrit les pires fantasmes du côté de celle majoritaire. On pourrait ajouter une troisième peine. Celle d’être une femme à une époque où les destinées qui s’offrent au sexe faible sont dictées par le sexe fort et la hiérarchie sociale : épouse, courtisane ou esclave ? Devenir une héroïne romanesque au XVIIIe siècle et collectionner les aventures n’est pas dans l’ordre des choses. À moins de se déguiser en garçon et de s’appeler Pierre.
Une fille libre et moderne
Contrairement à Perle, conditionnée à demeurer esclave ou mourir, Esther résiste, raisonne et choisit sa voie, sans renier ses origines. Elle est libre et moderne. Sa réflexion, qui s’affranchit de tout prêt-à-penser, même religieux, lui permet de rester elle-même tout en évoluant.
Une héroïne avec un grand H
Jeune fille, Esther est téméraire, intrépide et rebelle. Jeune femme, Esther est belle, intelligente, gracieuse, subtile et profondément humaniste. En domestique, elle pétrit le pain avec de l’or dans les mains. En garçon, elle court et grimpe avec habileté et agilité. Malgré les coups du sort, les actes malveillants et la rudesse de l’époque, Esther a un instinct de survie qui fait d’elle une héroïne avec un grand H à laquelle le lecteur s’attachante forcément.
Une touche féministe
Oui, il s’agit bien d’un roman romanesque avec des personnages multiples, des rencontres, des tensions, des aventures, du rythme, une intrigue, un soupçon d’amour…
Mais, ce qui fait l’originalité de ce roman classique, c’est le regard féminin que porte Esther, alias Pierre, sur la société du XVIIIe siècle. Ce qui donne au roman une touche féministe qui résonne toujours aujourd’hui.
A noter la traduction de qualité de Diane Ménard qui permet de lire ce roman sans jamais penser à l’anglais.
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