Le livre de Perle, Timothée de Fombelle, Gallimard
Timothée de Fombelle se joue des frontières entre le vrai et le faux avec sincérité et met en scène son processus de création littéraire. Une perle et une pépite
Il y a des romans parfois qui vous rendent euphoriques au point de raconter cette euphorie dans une chronique. Et puis il y a des romans qui vous laissent sans voix, comme celui-là. Un mutisme liquide comme une source, moelleux comme une guimauve, piquant comme une flèche.
Il s’est passé un truc dans les profondeurs de l’inconscient, quelque chose qui a à voir avec les rapports tumultueux entretenus avec votre imaginaire. Quelque chose qui a à voir aussi avec l’imaginaire des autres dont vous avez pris l’habitude de vous nourrir puisque le vôtre est cadenassé…
Vient le moment où il faut quand même se lancer, actualité oblige, le livre a obtenu la Pépite du roman ado au Salon de Montreuil. Prendre de la distance avec son affect, retrouver les mots, construire une interview, angler le propos, faire des choix… tout ça est laborieux.
Pas simple de parler de Monsieur Perle ou plutôt d’Ilian, cet adolescent amoureux banni d’un royaume féérique en ruine qui débarque dans notre monde en 1938. Il est recueilli par un couple juif qui tient une confiserie et vend des guimauves connues dans tout Paris. Ilian devient Joshua Perle alors qu’éclate la guerre.
C’est ce même Joshua Perle que le narrateur, alors âgé de 14 ans et qui vit son premier chagrin d’amour, rencontre quelques années plus tard dans une cabane au bord de l’eau dans laquelle sont entassées de multiples valises…
Cet adolescent de 14 ans n’est autre que l’écrivain lui-même que l’on retrouve dans la réalité d’un Paris en fête un 14 juillet. Puis à Venise, ville intemporelle, entre réel et imaginaire, au milieu d’un duel digne des romans de cape et d’épée. Une scène finale intense et théâtrale.
Entre temps, il y aura eu une source asséchée par la cupidité, un royaume dévasté par la jalousie, une fée amoureuse qui renonce à ses pouvoirs dans un monde imaginaire. Il y aura eu aussi l’horreur de la guerre dans le monde réel : un soldat qui échappe à la mort en croyant à l’histoire de Joshua mais qui meurt en s’évadant ; la rafle de Monsieur et Madame Perle ; la résistance et la rencontre avec le Capitaine Alexandre, poète, qui n’est autre que René Char et qui donne la clef à Joshua pour trouver le chemin du retour, une quête qu’il va mener tout au long de sa vie pour rejoindre son amour… Et puis, entre les deux mondes, il y a ces reliques soigneusement rangées dans du papier de soie puis dans des valises.
Le livre de Perle se joue des frontières entre le vrai et le faux avec sincérité et met en scène un processus de création littéraire. Comment se met-on à écrire des histoires ? Pourquoi le fait-on ? A quoi ça sert ? N’est-ce pas l’imaginaire le principal personnage de ce roman ? Ou plutôt les imaginaires ? L’imaginaire collectif, celui des contes, se confond avec l’imaginaire énigmatique de l’écrivain pour mieux titiller celui du lecteur. Joshua Perle a réussi à décadenasser le mien pour me laisser croire à cette histoire d’amour et je l’en remercie.
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