Papa, pourquoi t’as voté Hitler ? Didier Daeninckx et Pef, Rue du monde
Une petite histoire fictive dans la grande histoire qui fait froid dans le dos
Papa, pourquoi t’as voté Hitler ? Cette question d’enfant date d’un autre siècle mais résonne bruyamment aujourd’hui. L’histoire se passe en mars 1933 dans une famille allemande. C’est l’enfant qui la raconte. Il a alors 5 ans. Ça commence par une dispute entre ses parents. Son père est persuadé que seul le parti nazi peut sortir le pays de la crise et s’apprête à voter pour lui. Sa mère n’est pas du même avis. Mais l’Allemagne est un parti démocratique et la majorité du peuple a fait le même choix que le père. Un mois plus tard, la statue du führer est dans toutes les vitrines, la ville est décorée de croix gammées et les miliciens surveillent chaque coin de rue. Les Juifs deviennent des boucs émissaires et les livres sont détruits. Le père n’ose plus regarder sa femme en face. À l’école, Koleman, un copain métis du narrateur, se voit interdire l’accès à la piscine par le directeur milicien. Ce dernier accuse le garçon de salir l’eau… L’enfant a 9 ans quand la guerre éclate. Mariele, la petite sœur handicapée, a failli être embarquée par le Service de protection de la race allemande. Le père, lui, part à la guerre. Il en reviendra épargné mais n’échappera pas, à son retour, à la question qui brûle les lèvres de son fils.
L’album est paru en octobre, mais le moment pour en parler s’est imposé en cette fin de mois de février 2017. Le parti d’extrême droite caracole en tête des sondages et la parole populiste envahit les ondes avec des « Marine » toutes les trois phrases. Pas question néanmoins de comparer les partis et leurs chefs. Les époques ne sont pas les mêmes. « Ce n’est pas un mode d’emploi pour les temps présents, commente l’auteur, Didier Daeninckx. Juste peut-être un peu de lumière dans l’obscurité. »
Car le livre parle aussi d’une démocratie bafouée par un pouvoir élu démocratiquement et ça, c’est un thème déjà d’actualité de l’autre côté de l’Atlantique. Quant à la famille, elle est fictive mais crédible… Ces douze années tragiques sont racontées avec les yeux d’un enfant qui subit un choix d’adultes et qui en voit les conséquences à son niveau. Grâce à sa mère, qui résiste depuis le vote à la déferlante extrémiste, il sera épargné par le lavage de cerveau pratiqué sur la jeunesse hitlérienne. Toute l’Allemagne n’était pas nazie, c’est important de le rappeler. En revanche, c’est en toute légitimité que l’enfant osera poser LA question à son père à la fin de la guerre. Il a droit de savoir. Comme toujours dans la collection Histoire d’Histoire, un fil documentaire contextualise la fiction et donne des clefs aux jeunes lecteurs. De quoi mesurer que la démocratie est un bien très fragile.
Pour illustrer le propos, Pef oppose le quotidien d’une famille ordinaire à la violence d’une dictature où les hommes deviennent des pantins articulés avec des bras en forme de croix gammées. L’attitude du père montre un homme sûr voire aveuglé mais qui, peu à peu, prend conscience des conséquences de son vote. Dans la ville en ruines, sa culpabilité se lit sur son visage et semble l’anéantir. Au Salon de Montreuil, le dessinateur a été très ému par une rencontre. Celle d’une dame, allemande, qui l’a remercié d’avoir posé la question qu’elle n’a jamais osé poser à son père…
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