Quand le monstre naîtra, Nicolas Michel, Talents Hauts
Une histoire racontée par la bouche d’une vieille dame avec des yeux d’enfants
Avoir 5 ans en 1939, en Haute-Provence, ça ne s’oublie pas. Lucile est désormais une vieille dame coincée dans une chaise roulante mais, si elle a perdu l’usage de ses jambes, elle n’a pas perdu la mémoire. Elle se souvient, avec moult détails enregistrés par ses cinq sens, de ces temps obscurs via deux événements prégnants et étroitement liés : l’interdiction de fréquenter ses voisins, Elsa et Emmanuel, un jeune couple italien et juif, et la naissance d’une petite sœur, dont la venue déséquilibre le trio familial.
Désormais, elle se fait un devoir de transmettre la petite histoire, dans la tourmente de la grande, à sa petite fille Leïla. Elle raconte ces cinq années avec la fougue qui, déjà, la caractérisait dès le plus jeune âge. Son récit est rythmé par des chapitres qui lui permettent de reprendre sa respiration. Elle y ajoute un souci d’honnêteté qui l’oblige à chausser ses yeux d’enfants pour ne pas laisser son regard d’adulte dévier sa narration.
Chronologiquement, elle raconte les balades parfumées de senteurs provençales avec son père, l’apprentissage de la lecture avec Elsa, son amitié naissante avec Grenadine. Sans omettre ses caprices démesurés, son espièglerie et ses coups tordus. Elle passe en revue les scènes quotidiennes insouciantes qui rythment sa vie de petite fille mais qui, peu à peu, vont s’assombrir par les regards inquiets de ses parents, les absences répétées de son père et la grossesse de sa mère.
La petite fille interprète les non-dits, imagine son père contre les juifs puisqu’il a chassé Elsa et Emmanuel et focalise sur le ventre de sa mère qu’elle rejette avec véhémence. La naissance de sa petite sœur alourdit sa colère dopée au venin de la jalousie et exacerbé par la lourdeur d’un secret qui l’écrase…
Le récit d’enfance mêle astucieusement aventure romanesque et story telling avec, en arrière fond, la Seconde Guerre mondiale. La narration, qui repose sur la transmission, permet à l’auteur de ne jamais perdre son lecteur dont les interrogations et les impatiences sont anticipées par la vieille dame conteuse.
En adoptant le point de vue d’une petite fille tempétueuse avec justesse, Nicolas Michel n’enlève rien à la complexité de la guerre et à son absurdité. Au contraire. À travers les yeux de la petite Lucile et son regard acéré, l’ennemi allemand s’avère bienveillant et le patriote français menaçant…
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