L’écriture, la danse, la forêt… Trois romans ados chargés d’une kyrielle d’émotions
La Théorie de l’iceberg, Dancers et Sauvages font partie de la rentrée littéraire de l’automne 2018. Mais rien n’empêche de les lire en 2019 !
Excepté le moment de leur publication, ces trois romans ados n’ont pas grand-chose en commun, ni sur le fond, ni sur la forme. Quant aux émotions que leurs lectures procurent, elles vont crescendo : elles commencent en mode feel good grâce à Christopher Bouix, passent par une chorégraphie triangulaire passionnante signée Jean-Philippe Blondel et finissent par des épreuves poignantes et bouleversantes racontées par Nathalie Bernard.
Se mettre à bégayer à 15 ans après un accident de surf ne facilite pas la vie sociale. Surtout pour Noé qui, avant son accident, avait davantage d’affinité avec la mer et sa planche qu’avec ses camarades du collège. Fataliste et un peu passif, Noé subit son handicap post-traumatique et s’apprête à passer l’été 1993 en gardant ses distances avec la mer qui désormais l’effraie et en écrivant une histoire avec la vague idée de participer à un concours de nouvelles.
C’est souvent quand on n’attend rien, que les choses vous tombent dessus. Pour Noé, elles vont prendre la forme de deux rencontres. La première, pleine d’énergie astronomique et poétique, va éveiller en lui quelques émois insoupçonnés qui vont le pousser à s’extérioriser, à prendre l’air et même à inventer des haïkus. La seconde, en robe de chambre, va d’abord l’agacer avant de s’avérer être un maître, un peu lunatique et très bougon, dans l’art d’enseigner l’écriture.
Pour Noé, c’est l’été idéal pour commencer sa lente guérison, entre apprentissage de procédés littéraires et premiers baisers. Pour le lecteur, cette comédie charmante est l’occasion de passer un été en plein hiver. Un peu de chaleur iodée dans ce froid polaire, ça aide à se sentir bien !
Cette chorégraphie triangulaire, rythmée par des silences, illustre parfaitement la transitivité avec comme vecteur la danse. En toile de fond, un tapis d’émotions passionnées qui ne demandent qu’à s’exprimer.
Anaïs est irrésistiblement attirée par le langage corporel d’Adrien. Ils suivent l’option danse au lycée. Leur rencontre artistique va se prolonger en relation amoureuse. L’année suivante arrive Sanjeewa, fils d’immigrés tamoul, en France depuis l’âge de 7 ans. Son côté sri-lankais, il l’exprime dans la danse. C’est la prof qui lui a présenté Anaïs. Elle a quitté son amoureux et perdu son partenaire puisque Adrien a arrêté la danse. Entre Anaïs et Sanjeewa, une autre alchimie corporelle et intime se crée. Jusqu’au jour où Anaïs chute. Le diagnostic pour l’ancienne gymnaste est sans appel : arrêt total de la danse. Sanjeewa décide alors de rentrer en contact avec Adrien.
Adrien est en relation avec Anaïs et Anaïs est en relation avec Sanjeewa… alors Sanjeewa est en relation avec Adrien. C’est mathématique et c’est raconté avec une plume littéraire qui n’hésite pas à se servir d’ellipses et de flash-back pour étoffer la narration. À chaque chapitre, le « je » change mais à chaque prise de parole la tension est palpable. Chacun a ses émotions enfouies – frustration, colère, déracinement – qui se dévoilent au rythme de l’année à travers les liens qui se nouent et se dénouent entre les trois protagonistes. Le tout est porté par le mouvement de la danse et emporte le lecteur.*
S’emparer de faits réels et ignobles et les romancer à hauteur de grands adolescents sans les édulcorer. L’exercice est périlleux… Nathalie Bernard a su le relever avec sensibilité et justesse en livrant un récit poignant, révoltant et exaltant.
Au Québec, les pensionnats autochtones avaient pour mission de « tuer l’Indien dans l’enfant ». À 16 ans, Jonas, alias numéro 5, n’a plus que soixante jours à tenir au pensionnat du Bois Vert avant de retrouver la liberté. Il s’y trouve depuis ses 10 ans. Les prêtres et les bonnes sœurs ont-ils réussi à l’assimiler à une culture qui n’est pas la sienne ? L’attitude de Jonas laisse supposer que oui, au point de se mettre à dos d’autres pensionnaires. Mais l’une d’entre eux n’est pas dupe du rôle qu’il joue pour avoir la paix. Victime parmi d’autres des sévices du Père Séguin, elle appelle Jonas à l’aide mais il hésite… jusqu’à commettre l’irréparable et fuir avec un autre pensionnaire qui le détestait.
La première partie du roman se déroule dans l’internat que le lecteur découvre à travers le point de vue distant et froid de Jonas. Son regard donne à voir un fonctionnement précis et documenté qui fait froid dans le dos. Le garçon a volontairement endormi l’Indien en lui en attendant de retrouver la liberté, mais l’ignominie du Père Séguin va le réveiller avant le jour J. La deuxième partie se passe dans la forêt en pleine débâcle. Une traque terrifiante s’engage entre des chasseurs sanguinaires et les deux jeunes fugitifs, rythmée par des chapitres courts, denses et ciselés. Impossible de lâcher le roman dont on ressort sonné.
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