Demandez-leur la lune, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard jeunesse
Un roman sur l’éloquence et le lien entre quatre ados en échec scolaire et une professeure de français qui arme leur adolescence de mots.
Ils sont quatre. Quatre adolescents malmenés par une vie qui ne leur fait pas de cadeau. Quatre lycéens emprisonnés dans une réalité qu’ils préfèrent taire parce qu’il y a « des trucs que l’on ne peut pas partager », surtout dans un coin de France où Internet ne passe pas mais où tout se sait.
Hors cadre
Il y a d’abord la timide Lilou, la sœur de Kylian, le garçon qui a fait allégeance à Daech. Il y a ensuite le tempétueux Bastien, étouffé par des parents autoritaires, envahissants et directifs. Il y a aussi la provocante Samantha qui vit dans un mobile-home avec une mère fantasque et fragile qu’elle protège pour ne pas la perdre. Il y a enfin Farouk, réfugié, qui a traversé la Méditerranée…
Les mots sont au fond d’eux, coincés par la colère, le doute, la culpabilité, la honte, la douleur. Ils ignorent tout du chemin que ces mots doivent emprunter pour les délester du poids trop lourd qui les plonge dans le silence. Pourtant, face à Agathe Fortin, professeure de français hors cadre d’une classe relais pour ceux qui n’ont « pas les moyens de suivre une seconde générale », ils ne sont plus que quatre à s’engager dans un concours d’éloquence qui doit avoir lieu à la fin de l’année.
« Sur le bord du chemin »
L’éloquence. Le terme est à la mode. Il est même un enseignement expérimenté en classe de 3e depuis la rentrée 2019. Pourtant « le concours d’éloquence n’était pas le point départ du roman, il s’est invité un peu plus tard. L’idée est venue en repensant au documentaire À voix haute » de Stéphane de Freitas (2016), relate Isabelle Pandazopoulos.
Pour Lilou, Samantha, Bastien et Farouk le concours devient l’objectif de cette nouvelle année scolaire qui va les transformer. « L’adolescence est l’âge de la métamorphose, extrêmement romanesque, une mine d’histoires sans fin », rappelle la romancière.
Encore faut-il regarder l’adolescence telle qu’elle est : multiple, instable, « sur le bord du chemin ». Ce regard-là, l’autrice, ancienne professeure de français, le maîtrise avec justesse. En témoignent ses précédents romans (On s’est juste embrassés, La décision, Double faute).
« Renouer le fil »
Dans Demandez-leur la lune, la professeure Agathe Fortin transmet les mots et l’art de la rhétorique à ses quatre élèves. La romancière Isabelle Pandazopoulos adopte leur point de vue, chacun leur tour et tout au long de l’année scolaire, pour raconter « leurs histoires rugueuses », les liens qui se tissent entre eux et cette porte inattendue qui se dresse devant eux et leurs hésitations à la franchir.
L’adulte qui l’ouvre prend pourtant des risques. Car l’enseignement d’Agathe sort du cadre. Ça agace le proviseur, ça gêne certains parents. Qu’importe. Même si elle doute, elle tient bon et croit en eux. Pour elle, ce concours d’éloquence est un moyen de « renouer un fil » avec ces quatre adolescents que l’école a paumés. Ils sont environ 100 000 chaque année.
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